• Une étude sur le fétichisme, et notamment la podiaphilie

    Extrait de :
    Le fétichisme par Michel Mogniat Edition électronique 2007

    Cette étude était incorporée à l'essai "Les masochismes ou l'effet-Mère" Elle a été imprimée par l 'imprimerie Antipolis-Graphique à Antibes et diffusée par l'auteur. Un dépôt légal (2003) en a été effectué. L'édition papier est épuisée. La reproduction de larges extraits à partir du support électronique est autorisée à condition de stipuler le nom de l'auteur et la source d'origine du document.
    Je cite deux extraits.




    Le fétichisme féminin

    Comment expliquer par la théorie freudienne le fétichisme de la femme ? Et comment expliquer le fétichisme de la femme quand il se présente après l'adolescence et dans des matières synthétiques ? Même si les psychanalystes nous affirment clairement que ce dernier n'existe pas :

    "Voici donc le fétiche, nous dit Freud, représentant le phallus en tant qu'absent, le phallus symbolique. Comment ne pas voir qu'il faut cette sorte de renversement initial pour que nous puissions comprendre des choses qui, sinon, seraient paradoxales ? Par exemple, c'est toujours le garçon qui est le fétichiste, et jamais la fille. Si tout était sur le plan de la déficience, ou même de l'infériorité imaginaire, des deux sexes, ce serait plutôt dans celui où on est réellement privé de phallus que le fétichisme devrait se déclarer le plus ouvertement. Or, il n'en est rien. Le fétichisme est excessivement rare chez la femme, au sens propre et individualisé où il s'incarne dans un objet que nous pouvons considérer comme répondant d'une façon symbolique au phallus en tant qu'absent."
    (J. Lacan, Le Séminaire, Livre IV, éd. Du seuil)

    Ce fétichisme, "excessivement rare" chez la femme, ne l'est peut être pas tant que ça. Selon la thèse lacanienne, la femme est, en quelque sorte, elle-même un phallus. Si le corps entier est le "phallus", c'est dans l'exhibition de son corps que la femme dévoile son fétichisme. Le fétichisme de la femme va s'exprimer tout au long de son existence dans ses tenues vestimentaires. Une femme pourra être une adoratrice des chaussures, des vêtements ou des sous-vêtements sans attirer l'attention de son entourage. Elle pourra être "excentrique" ou originale et se vêtir de ses matières fétiches sans que soit soupçonné chez elle un "fétichisme" sexuel ; la mode absorbera son fétichisme et le lui renverra. Car, pour le fétichisme de la femme, comme pour son masochisme, il existe dans nos sociétés toute une infrastructure qui lui permet de vivre ses "déviations" sans que l'on puisse les classifier comme "pathologiques" ou même les remarquer ; sans même, et cela peut sembler paradoxal, que le sujet lui-même réalise parfois son rapport érotique au fétiche.
    Ce fétichisme clandestin de la femme est une des raisons pour lesquelles on possède peu de témoignages concernant ces sujets. Mais il existe bel et bien un fétichisme d'objet et de matière chez la femme. Voici un court extrait de correspondances ; la personne qui écrit est une femme, fétichiste des chemisiers, plus particulièrement des cols de chemisier et des blouses. Nul doute que la consonance érotique, si elle n'est pas évoquée, est bien présente sous la
    plume :

    "Concernant le port du tablier, entre autre, je suis assez fétichiste des tenues vestimentaires qui donnent un côté stricte et guindée... de façon à faire sage et très "conservatrice" [ ]...au quotidien, je portais une blouse ou un tablier par dessus mes vêtements. [ ]...Je dois posséder une vingtaine de tabliers et blouses (tous confondus) et donc je changeais de temps en temps. [ ]...Je possédais aussi des tabliers de soubrette (au nombre de deux). Quel que soit le type de chemisier, je les porte toujours avec le col fermé [ ] ... je suis plus souvent en jupe et chemisier). [ ]....grise anthracite, avec les poignets en dentelle blanche et le col Claudine [ ] ...A propos de cela, que pensez-vous des cols de chemisier concernant leur largeur ? Pour vous, le col fermé doit-il bien enserrer le cou quitte à être moins à l'aise ? [ ] ...Concernant les hauts, je ne porte que des chemisiers à manches longues, pensant que les manches courtes font un peu trop relâché. [ ]…En fait, j'ai trois styles de chemisiers, à savoir, des chemisiers à col pointu (style chemise d'homme), des chemisiers à col Claudine (col rond) et aussi des chemisiers à collerette montante (style fraise). Que pensez-vous de cela, et pensez-vous qu'il y ait une forme plus conventionnelle ? Je précise que je porte mes chemisiers exclusivement avec le col boutonné, car une fois de plus, je trouve cela plus rigoureux."

    Il n'y a pas là grande différence avec les "fétichistes" masculins décrits par Krafft Ebing quand ils parlent de leur attachement au fétiche.
    Bien sûr, on pourrait dire que le col est justement l'endroit d'où émerge la tête qui peut être interprétée comme un pénis. "Si vous rêvez d'une locomotive, c'est papa, si vous rêvez d'une gare c'est maman". Ce mot d'humour définissant la psychanalyse, tend hélas, de moins en moins à en être un.
    Il existe également chez la femme un fétichisme de matière, particulièrement du latex ; il semblerait d'ailleurs, que dans les milieux sadomasochistes c'est ce composant qui l'emporte exclusivement chez les femmes dans le fétichisme de matière.

    .../...

    Deux types de fétiches vestimentaires : les enveloppants et les attachants
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    Si on se fie à la littérature et à l'expression fétichiste, parmi les sous-vêtements figurent en bonne place les porte-jarretelles, les bas, les culottes, les strings, les bodys, les soutiens-gorge, les corsets, les gaines et les guêpières. En moindre fréquence les jupons et combinaisons. On s'aperçoit rapidement qu'il y a plusieurs types de fétiches dans le vêtement féminin ; il y a "l'enveloppant" qui cache le corps ou une partie du corps et il y a "l'attachant", que le fétichiste va percevoir comme une contrainte imposée au corps de la femme, à la partie du corps concernant le fétiche.
    Le plus universel, le plus admis des fétiches dans la société contemporaine occidentale demeure les bas et porte-jarretelles. Ce dernier a la caractéristique de laisser bien en vue la culotte qui cache le pubis et préserve encore la réalité de la castration de la femme. Mais il possède également une autre caractéristique : celui de s'attacher sur le corps de la femme. A ce titre le porte-jarretelles a une double vocation fétichiste : "enveloppant" par la culotte qu'il met en valeur, et "attachant" par son système de fermeture. C'est peut être la raison de son élection unanime au rang de fétiche universel.
    Les collants, qui dans la vie pratique ont remplacé les bas et les porte-jarretelles, ont peu, contrairement à ces derniers, retenu l'attention des fétichistes. Il y a plusieurs raisons à cela : si les collants, comme les gaines et les culottes appartiennent à la catégorie des sous-vêtements enveloppants, ils présentent, contrairement aux précédents, l'inconvénient majeur d'être transparents ; ainsi ils ne jouent pas la fonction attendu du voile couvrant l'illusion phallique.
    Cette différence entre les sous-vêtements enveloppants et les attachants tend à valider en partie l'hypothèse freudienne et son interprétation du phallus manquant : l'enveloppant est un vêtement, qui, par sa fonction de couverture des jambes et de la taille protège le fétichiste de la vérité de la castration de la femme. Si l'on essaie de comprendre le rôle et le mode d'action des autres fétiches ordinairement élus la catégorie des fétiches attachants, on remarque qu'il ont tous une particularité surprenante : tous usent d'agrafes, de boutons ou d'attaches. Tous ont un aspect plus ou moins contraignant, tous sont "attachés" d'une manière ou d'une autre sur le corps de la femme.
    Le porte-jarretelles s'agrafe au niveau des reins et les bas y sont fixés par des attaches. Le soutien-gorge est agrafé, maintenu par une attache dans le dos. Il est évident que si ce dernier est un allié des poitrines, il est aussi un agent perçu comme contraignant par le fétichiste, comme un "carcan" qui donne l'impression d'emprisonner la femme, de réduire ses mouvements. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les féministes des années soixante-dix ont choisi de brûler leurs soutiens-gorge et non leurs culottes en place publique.
    Cet attachement dans le dos joue un rôle déterminant dans le sens que donnera le fétichiste à son fétiche élu. Il semblerait que plus la perception de contrainte qu'exerce le fétiche sur la femme paraît grande au fétichiste, plus l'attirance au fétiche soit importante. Le corset en est un exemple flagrant : non seulement il a pour mission de restreindre la taille, mais il restreint également les mouvements, la démarche, la respiration. Il souligne la poitrine en renvoyant, une fois de plus, à l'animalité : la taille de guêpe. Son laçage s'effectue également dans le dos et nécessite souvent l'intervention d'une autre personne. Le corset fait partie de la panoplie du couple SM, son fétichisme est très souvent lié à une pratique masochiste.
    Si l'on quitte la catégorie des sous-vêtements pour passer aux vêtements retenus par les fétichistes comme objets érotiques, on s'aperçoit rapidement que la jupe et la robe sont relativement peu élues, sauf particularité liées à l'historique du sujet, alors que le tablier et la blouse se rencontrent avec une grande fréquence. Le tablier se noue, s'attache, généralement dans le dos, tout en signant une fonction, une condition subalterne, une condition de contrainte.
    La blouse, elle, est également retenue, bien qu'elle ne s'attache pas forcément. Toutefois certains fétichistes des blouses font de la ceinture une condition indispensable à l'attrait du fétiche. Le foulard, lui, qu'il soit carré Hermès ou voile oriental, se retrouve avec une fréquence non négligeable. Il se noue également, il est de plus, en effaçant la tête du sujet, son identité, un signe de soumission.
    En ce qui concerne les chaussures, de la chaussure plate aux cuissardes à hauts talons, elles semblent être un fétiche universel. Même si son rapport avec les pieds et la symbolique du phallus semble évident, il ne faut pas oublier que les chinois, grands amateurs de petits pieds, faisaient subir à leurs compagnes de grandes contraintes pour parvenir au formatage "érotique" des pieds atrophiés. Un gadget favori des jeux sadomasochistes est celui de la chaussure aux talons vertigineux, contraignants. La chaussure est parfois verrouillée, cadenassée, impossible à enlever. On peut dès lors s'interroger sur la symbolique du pied et de la chaussure quand on constate qu'ils sont un signe renvoyant autant à la contrainte qu'au pénis ou au vagin. Les significations s'harmonisant d'ailleurs fort bien l'une et l'autre.
    Contraintes donc que tous ces fétiches. On le voit, on retrouve nombre de fétiches vestimentaires utilisés dans les jeux masochistes. Il y a, partant du fétichisme, tout un glissement vers le masochisme et le travestisme. Ce n'est pas sans raison que la psychanalyse a fait du fétichisme "la perversion de base". Est-elle pour autant la "mère" des perversions, celle dont découlent toutes les autres ? Ce serait peut-être une erreur de considérer le fétichisme à l'origine des autres perversions, de le voir comme la perversion "première".
    Cette conception du fétichisme comme perversion première, servant de support aux autres perversions n'est pas gratuite. Si tous les courants psychanalytiques s'accordent aujourd'hui à cette vision première du fétichisme, cela est dû au fait que la théorie analytique situe l'origine du fétichisme au phallus de la mère. Ainsi, malgré les contradictions rencontrées, le prisme interprétatif domine.
    Malgré tout, certaines vérités indéniables apparaissent au grand jour : les perversions prennent naissance dans une phase pré-œdipienne, cela plus personne ne songe à le nier. Mais, cette source pré-œdipienne doit rester sous l'angle phallocentrique. Ce phallocentrisme doit rester le moteur maître de la théorie. Tant chez Lacan que chez Freud, c'est à partir du phallus de la femme que vont se développer les théories des perversions. Il faut reprendre un instant cette notion de différence de formes du fétichisme d'objet enveloppant et attachant et la développer plus amplement.

    Il a été vu que la série des premiers (robes, combinaisons, jupes, jupons, culottes, gaines) ne portaient pas en eux de charge agressive et qu'ils peuvent très bien apporter la confirmation de la théorie freudienne du phallus féminin manquant.
    Dans la seconde catégorie, celle des "attachants" (corsets, soutien gorge etc…) il y a une liaison avec l'agressivité. Dans le cas des "attachants", le facteur agressif lié aux fétiches trouve certainement son origine dans une pulsion sadique, une pulsion d'emprise.
    Faut-il, partant de là, envisager la première catégorie, celle des fétiches "enveloppants" uniquement comme des fétiches en rapport avec la castration et le déni, et la seconde, la catégorie des "attachants" comme non issue d'un mouvement psychique, mais reliée à une pulsion d'agressivité ?
    Cette pulsion ne pouvant avoir comme origine qu'une pulsion d'emprise que l'objet fétiche réaliserait à distance. Que cette pulsion puisse être retournée en son contraire, dans le masochisme n'est pas à exclure.
    Certaines formes de fétichisme d'objet n'auraient donc plus pour origine première un mouvement psychique, le déni, mais une origine pulsionnelle entraînant le phantasme sadique. Ce qui touche quand même à l'économie du "phallus", mais qui éclaircit la question de "graduation" du rapport érotique au fétiche. Le facteur quantitatif pulsionnel pouvant alors donner un fétichisme "ordinaire" ou un fétichisme "pervers".
    Car il paraît évident que le rapport au fétiche n'est pas un rapport uniforme et constant de la charge érotique et émotionnelle : chez certains sujets le fétiche sera le support d'une excitation sexuelle, une mise en condition, un adjuvant à l'érection et il constituera parfois chez d'autres une sexualité complète.
    Entre les deux, tout un jeu de graduation est en place.
    Il faut se rappeler les deux exemples cités en début de chapitre, les lunettes et le plumeau : le fétiche est utilisé comme agent érogène, il ne constitue pas une sexualité complète. C'est bien l'acte sexuel de pénétration qui est désiré, voulu et accompli, le fétichisme est mêlé à un processus sexuel, il ne constitue pas une sexualité en lui-même.

    Si le fétiche est le signe de quelque chose, il ne vient peut-être pas toujours en remplacement d'un manque. Il est peut être aussi agent d'une volonté de possession, d'une pulsion d'emprise qui trouverait son aboutissement dans le fétiche. Car si l'hypothèse freudienne s'avère exacte pour tous les fétichistes, la question qui se pose est la suivante : comment le fétichisme peut-il être chez certains sujets un simple stimulus sexuel, pour d'autres une composante importante de la sexualité, et pour certains enfin une sexualité complète ?
    Ce qui invite à attribuer certains fétichismes à une origine pulsionnelle plutôt qu'à un mouvement psychique de défense, est le fait que le "déni" n'est pas graduable : il est ou il n'est pas !
    Il y a dans le fétichisme quelque chose qui n'est pas encore compris, quelque chose qui ne rentre, à l'heure actuelle, dans aucune " théorie ", si élaborée soit-elle. Le fétichisme de matière reste encore entièrement à expliquer. Ce que l'on peut par contre constater, c'est une volonté de vouloir l'intégrer à un "système" phallocentrique de fonctionnement du psychisme.




    Le lien vers le document complet a disparu : pagesperso-orange.fr/causepsypsycause/lefetichisme.htm

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