• A l'école de cuisine

    Toujours de mon ami Molenbeek, dont le talent a mille facettes....


    À L’ÉCOLE DE CUISINE
    Fantaisie en 3 actes


    ACTE I


    Laetitia de Vuilsens; 37 ans; grande femme élégante, très distinguée. Un peu trop « grand cheval » pour être jolie. S'exprime avec l'accent affecté et prétentieux des quartiers chics. En parlant, elle ne regarde jamais son interlocutrice en face et joue nerveusement avec une broche de grand prix qui ferme son chemisier de soie au ras du cou.

    Mademoiselle Schmidt; 28 ans; diplômée de l'école hôtelière, gérante de la très réputée école de cuisine Les Goûts Doux, création des sœurs Watt qui exploitent plusieurs salons de thé sous le même nom. Tout dans la personne de Mlle.Schmidt  –  son allure ; sa coiffure ; son maintien ; sa façon de s’habiller et de parler  –  expriment la notion d’Efficacité avec un E majuscule.

    Le rideau se lève sur le bureau de la gérante qui parle au téléphone :

    SCHMIDT
    Non … Cette fois c’est non ! ! … Je ne règlerai pas une facture qui ne correspond à rien … Je dis bien à RIEN … C’est ça que vous appelez du travail ? … Du n’importe quoi … Ni fait ni à faire … Où recrutez-vous vos serveurs, monsieur Crogne, chez les sdf ? Avec quoi les payez-vous, avec des cannettes de bière ou des litres de rouge ?


    On frappe à la porte.

    SCHMIDT
    Oui … (couvrant le micro de sa main) Oh, madame de Vuilsens … Entrez donc, chère madame, asseyez-vous … (dans le micro) Je suis occupée, nous reparlerons de cette affaire plus tard. Au revoir, monsieur Crogne.

    Elle raccroche. Les deux femmes restent un moment sans se parler. Madame de Vuilsens est assise le buste droit, raide comme la justice, ses mains posées sur ses genoux, l’air mécontent.

    SCHMIDT
    De quoi s’agit-il au juste, chère madame ? N’êtes-vous pas satisfaite de nos cours de cuisine ?

    VUILSENS
    Si. Ce que j’ai à vous dire me gêne d’autant plus !

    SCHMIDT
    Dites. Ne vous sentez surtout pas gênée, madame de Vuilsens. Tout ce qui touche à la réputation de notre maison me concerne. Les compliments me font évidemment plaisir. Mais j’apprécie aussi les critiques constructives qui nous aident à améliorer la qualité de nos services.

    VUILSENS
    Mon tablier …

    SCHMIDT
    Votre tablier ?

    VUILSENS
    Après les leçons de cuisine, je le laisse au vestiaire.

    SCHMIDT
    C’est en effet ce que nous conseillons à nos élèves. Comme vous venez toutes régulièrement, c’est plus pratique de laisser vos tabliers ici. D’autant plus que le blanchissage est compris dans le prix des cours.

    VUILSENS
    Le blanchissage.


    La gérante se tient le menton. On voit qu’une idée vient de germer dans sa tête.


    SCHMIDT
    C’est donc pour ça que vous venez me voir !  Vous trouvez que vos tabliers ne sont pas assez bien lavés ?

    VUILSENS (regardant ses pieds)
    C’est le contraire, mademoiselle.

    SCHMIDT (se voulant persuasive)
    Expliquez-moi, chère madame. Je ferai une enquête moi-même et, si elle révèle une déficience de notre part, je vous promets d’y remédier au plus vite.

    VUILSENS
    Quand nous sortons d’un cours de cuisine, nos tabliers ne sont plus parfaitement propres.

    SCHMIDT
    C’est évident. Je dirais même que c’est normal. Le contrat que nos élèves passent avec notre maison stipule…

    VUILSENS (agacée)
    J’ai lu le contrat. Nous avons le choix entre la blanchisserie gratuite, effectuée par vos soins en fin de semaine. Si nous voulons laver nos tabliers plus souvent, c’est à nous de le faire.

    SCHMIDT
    Tout à fait. Nous estimons qu’un blanchissage hebdomadaire est suffisant. Même les professionnels qui passent leurs journées en cuisine ne font pas laver leurs tabliers tous les jours.

    VUILSENS
    Justement.

    SCHMIDT
    Justement quoi, chère madame ?

    VUILSENS
    Je fais comme toutes ces dames qui suivent le cours avec moi : nous laissons nos tabliers au vestiaire pour les remettre lors de nos prochaines leçons.

    SCHMIDT
    Vous me disiez tout à l’heure que notre service de blanchisserie est bien fait.

    VUILSENS (agressive)
    Peut-être un peu trop bien …

    SCHMIDT
    Vos tabliers ont été décolorés ? Déchirés ?

    VUILSENS (butée)
    Non.

    SCHMIDT
    Alors où est le problème ?

    VUILSENS
    Je suspends mon tablier sale au vestiaire après le cours. Quand je reviens pour les prochaines leçons il est propre. Or il n’a été lavé ni chez moi par ma bonne, ni par votre service de blanchissage.

    SCHMIDT (clouée de stupeur)
    Vous dites ??

    VUILSENS (emphatique)
    Je dis que mon tablier a des taches après mon cours de cuisine. Quand je le remets pour la prochaine leçon les taches ont disparu. Alors que mon tablier n’a pas été lavé entre temps.


    Un lourd silence s’étire.

    La gérante reprend ses esprits, retrouve son calme.


    SCHMIDT
    Je m’en occupe personnellement. Soyez assurée que cette affaire va être rapidement tirée au clair.

    VUILSENS (pincée)
    J’y compte bien.


    Les deux femmes se lèvent, se serrent la main d’un air guindé.

    La gérante raccompagne Laetitia de Vuilsens jusqu’à la porte.

    Restée seule, Mlle.Schmidt arpente son bureau de long en large, absorbée dans ses pensées.

    Elle va se poster devant la fenêtre, regarde dehors, mains croisées derrière son dos, les doigts agités de tics nerveux.

    SCHMIDT (voix sifflante)
    Le salaud !… Le p’tit dégueulasse ! !… Après s’être fait ramoner le trou du cul par notre dominatrice de service, cette grosse garce de Tania Krakowskaïa, après avoir chié dans son froc pour s’être bâfré de crème au chocolat qu’il avait volée, après s’être fait fesser à la cuillère en bois par Louisette pour avoir éjaculé sur le gâteau de mariage de la comtesse de Maubuisson, le voilà maintenant qui se branle dans les tabliers des clientes …  À nous deux, mon p’tit Dominique … À nous deux, môôôsieu le branleur … Môôôsieu le vicieux … Môôôsieu le saligaud ! ! !



    Le rideau tombe.




    ACTE I I

    Laeritia de Vuilsens. Mademoiselle Schmidt. Les sept femmes (de 25 à 40 ans) qui suivent ensemble cette même session des cours de cuisine.

    Le rideau se lève sur la vaste et impressionnante cuisine des Goûts Doux. Ce n’est que fourneaux ultra modernes ; carrelage brillant ; acier inox étincelant ; robots professionnels chromés ; comptoirs de travail très « design », mélangeant le bois exotique avec des marbres de diverses couleurs. Des rangées de hublots dépolis au plafond diffusent une lumière à la fois claire et douce.

    La gérante porte le même tailleur strict, de coupe masculine, que dans le premier acte.

    Les élèves sont en blouses blanches et tabliers. Les blouses les plus courtes s’arrêtent aux genoux, les plus longues descendent à mi-mollets. Trois femmes portent de grands tabliers blancs enveloppants. Deux ont des tabliers bleus professionnels ; l’un presque neuf, bleu marine, sa toile encore raide ; l’autre plus clair, délavé et assoupli par de nombreuses lessives ; ce dernier a ses cordons, de cou et de taille, presque blancs. Celle qui porte le tablier neuf est une grande bringue d’une trentaine d’années, sans seins ni fesses, un nez en trompette et d’impressionnantes dents de castor capables de scier un tibia de bœuf. Le tablier bleu délavé est porté par une ravissante brune de type méditerranéen répondant au nom d’Amanda, 25 ans, essayant désespérément de paraître décontractée, « cool », alors qu’on la sent sur la défensive, comme si elle craignait toujours de se faire agresser par les autres. Son nom complet est Amanda Consuella Maria Irgun y Brazador. Elle a autour de son cou une croix au bout d’une chaîne en or. Laetitia de Vuilsens porte un grand tablier de toile écrue, à bretelles croisées dans le dos et bavette montant haut sous le menton. Les deux élèves qui restent portent des tabliers un peu plus fantaisie tout en restant longs et fonctionnels ; l’un à rayures jaunes et vertes ; l’autre noir, la jupe et la bavette entourées d’un volant froncé mauve, le large cordon, mauve également, formant un gros nœud, épanoui en corolle, au creux des reins.

    Au lever du rideau toutes les femmes parlent en même temps. De cette cacophonie se détachent quelques mots au hasard : INCROYABLE … UNE HONTE ! ! ! … RENVOI IMMÉDIAT … PLAINTE À LA POLICE … PRISON …

    La gérante étend ses bras pour demander le calme.

    SCHMIDT
    Je suis entièrement de votre avis, mesdames. Simplement nous sommes confrontés à deux problèmes.

    UNE ÉLÈVE
    Ah, lesquels ?

    AMANDA (fort accent)
    Au couvent où j’ai été élevée, à Burgos chez les Ursulines, ce chenapan aurait été battu de verges, puis conduit à la prison pieds nus, enchaîné entre deux guardia civil à cheval.

    VUILSENS
    C’est immédiatement à ça que j’ai pensé moi aussi : LE FOUET ! ! !

    UNE ÉLÈVE
    Avant de nous emballer, écoutons d’abord les explications de mademoiselle Schmidt.

    L’ÉLÈVE EN TABLIER RAYÉ JAUNE ET VERT
    Évidemment, c’est par là qu’il faut commencer. (Elle lance un regard noir à la jeune espagnole) Les curés ne font pas la loi en France.

    VUILSENS (ironique et acide)
    Quand ils la faisaient, les gens avaient davantage de sens moral.

    SCHMIDT
    Mesdames, je vous en prie … Ce n’est pas le moment de vous chamailler. Ce qu’il nous faut, c’est trouver une solution.

    L’ÉLÈVE AU TABLIER RAYÉ
    Vous avez évoqué deux problèmes ?

    SCHMIDT
    Oui. D’abord pincer Dominique en flagrant délit. Sinon notre accusation ne tient pas. Il niera farouchement et s’en tirera en nous riant au nez.

    UNE ÉLÈVE (à la gérante)
    Êtes-vous certaine que ce soit lui le coupable ?

    SCHMIDT
    Sûre et certaine. Lui seul connaît les habitudes de la maison. Lui seul a pu faire faire des doubles des clés pour s’introduire quand les locaux sont fermés. De plus, la répugnante découverte faite par madame de Vuilsens nous a conduit à examiner les autres tabliers. Et effectivement, nous avons constaté qu’à un moment où à un autre, tous ont été lavés à notre insu.

    UNE ÉLÈVE
    Lavés ni par nous, ni par la blanchisserie de l’école.

    VUILSENS
    C’est donc bien que quelqu’un veut effacer …

    AMANDA
    Santa Madona, le jus du diable … ! ! !

    SCHMIDT
    Pour arranger les choses, les antécédents de Dominique ne plaident pas en sa faveur. Il a été arrêté une fois pour exhibitionnisme, une autre fois pour avoir volé des tabliers dans le restaurant où on l’avait placé. Ce qui nous conduit au deuxième problème.

    VUILSENS
    C'est-à-dire ?

    SCHMIDT
    Je ne fais pas ce que je veux avec lui. Au point où nous en sommes, je peux tout vous dire … Dominique est le fils d’un homme politique dont vous lisez le nom tous les jours dans les journaux. Cet homme est un ami des propriétaires des Goûts Doux, deux sœurs qui vivent en Suisse. Elles ont crée cette chaîne d’écoles de cuisine et de salons de thé selects voici une dizaine d’années, le dernier devant ouvrir en mai prochain à Shanghaï. En plus d’être un ami des propriétaires, le père de Dominique est le principal actionnaire de la société, qui a son siège au Lichtenstein.

    VUILSENS
    Ne sachant que faire de son encombrant rejeton, il vous l’a imposé ?

    SCHMIDT
    Exactement. Alors que je savais pertinemment les ennuis que ce vaurien allait nous causer, j’ai été contrainte de le prendre en apprentissage… Comme si on pouvait lui apprendre quelque chose ! ! ! … Et maintenant je ne peux pas le mettre à la porte. Encore moins le faire arrêter par la police.

    L’ÉLÈVE AU TABLIER RAYÉ
    Et le punir ?

    VUILSENS (une lueur mauvaise dans le regard)
    Le fouetter ?

    AMANDA (excitée)
    Oui ! … OH OUI ! ! … Le fouetter jusqu’au sang ! ! !

    SCHMIDT
    C’est avec joie que je proposerai le marché à son père : la maison de correction ou un sévère châtiment corporel. Mais pour cela nous devons avoir un dossier en béton.

    UNE ÉLÈVE
    On pourrait cacher un magnétophone dans les vestiaires. Quand il … heu … approche de la conclusion, ça doit s’entendre, non ?


    Les femmes rient de bon cœur.


    SCHMIDT (hochant négativement la tête)
    Un enregistrement n’a pas de valeur légale.

    TABLIER RAYÉ
    Non, mais ça en aurait pour nous.

    SCHMIDT
    Où voulez-vous en venir, madame Moussois ?

    TABLIER RAYÉ
    Quand nous sommes certaines du fait, nous montons ce que les policiers appellent une « planque ».

    VUILSENS
    Vous lisez beaucoup de romans policiers, madame Moussois ?

    TABLIER RAYÉ
    Je les adore. J’en lis au moins un par semaine.

    UNE ÉLÈVE
    Dans la pratique, ça se passerait comment ?

    TABLIER RAYÉ
    Nous nous réunissons toutes un soir au vestiaire. Nous nous cachons chacune dans une armoire. Nous sortons à l’instant dit fatidique … Neuf témoins, ça c’est une preuve en béton.

    VUILSENS (admirative malgré elle)
    Pas mal …

    SCHMIDT (souriant d’une oreille à l’autre)
    Pas mal du tout.


    Les femmes se regroupent autour d’une table. Leurs têtes rapprochées, elles discutent entre elles avec animation.



    Le rideau tombe






    ACTE III


    Changement radical de décor et d’ambiance.

    L’acte I se déroulait dans un décor minimaliste : le bureau de la gérante ; une fenêtre dans le mur du fond ; la porte, côté jardin, par où entre Mme. de Vuilsens. Rien d’autre.

    L’acte II nous montrait la rutilante cuisine professionnelle des Goûts Doux.

    Ici nous sommes en rupture totale avec le style « réaliste » des deux actes précédents. Nous nous éloignons du théâtre pur pour pencher vers l’opérette, la revue de music-hall : un mélange du Lido, des Folies Bergère, de Broadway …

    En jouant avec les sons, la lumière, les effets spéciaux, les trucages, nous basculons à volonté de la forêt tropicale à un cachot souterrain … De la comédie musicale à l’Heroic Fantasy … Du psychédélisme délirant à l’épouvante grand guignolesque.

    PERSONNAGES

    •    La gérante, mademoiselle Schmidt.
    •    Toutes les élèves du cours de cuisine.
    •    Dominique, l’abominable apprenti « branleur ».
    •    Policière
    •    Infirmière
    •    Homme nu

    Au lever du rideau, le plateau est plongé dans l’obscurité. Seul le faisceau violent et concentré d’un projecteur, côté cour, détache, dans une lumière crue, blanche, l’apprenti, Dominique, attaché nu, à plat ventre, sur une table d’aspect chirurgical. Il y est maintenu par de larges sangles de cuir qui lui enserrent les épaules, la taille, les cuisses, les mollets. Ses poignets et ses chevilles sont emprisonnés dans des bracelets fixés aux quatre pieds de la table.

    On entend comme des cris d’oiseaux … Des appels de singes …

    Le plateau commence à s’éclairer très lentement, révélant un environnement dans tous les tons de verts. Un éclairage mobile, constitué de plusieurs spots en perpétuel mouvement, fait surgir des formes à l’aspect végétal … Ici des fougères arborescentes … Là un bananier … Flou, juste suggéré … Des lianes, un tronc d’arbre, des feuillages touffus et désordonnés … Que des jeux de lumière semblent agiter comme si le vent les parcourait …

    Accompagnant la montée de l’éclairage, une musique s’élève, allant crescendo elle aussi  –  un air oriental monocorde, joué dans des notes haut perchées, allant de l’aigu au suraigu.

    Côté jardin, Mlle.Schmidt, assise en derviche sur un tapis de prière, joue de la gasba, la flûte en roseau des charmeurs de serpents de Marrakech. Elle porte le même tailleur strict que dans les actes précédents.

    Lorsque le plateau est éclairé dans sa totalité, nous remarquons, posé sur le sol entre la joueuse de flûte et la table sur laquelle est attaché Dominique, un grand cercle muni d’un long manche … Cela fait penser à un immense cerceau qui aurait 4,50 ou même 5 mètres de diamètre. Il est important que nous ne sachions pas encore ce que c’est, car ce cerceau va être tout à l’heure un élément clé dans la mise en scène de ce 3ème acte

    Mlle.Schmidt joue, immobile, son air lancinant, répétitif, entêtant. Du plafond (suggérant un enchevêtrement de feuilles et de lianes) sort, juste au dessus de l’apprenti sanglé sur sa table en tubes chromés, la tête d’un serpent. Elle semble observer Dominique en oscillant de gauche à droite.

    Un tambour (que nous ne voyons pas) accompagne la flûte. Le serpent déroule lentement ses anneaux, descend en se balançant au rythme de la musique.

    Mlle.Schmidt souffle dans sa gasba. Les battements de tambour l’accompagnent. Le serpent descend … ondule … descend … Sa tête n’est bientôt plus qu’à une vingtaine de centimètres des fesses nues de Dominique.

    Des rires étouffés semblent sortir de la jungle.

    La gasba joue plus vite, plus fort. Les battements de tambour s’accélèrent. Dominique baigne maintenant dans une lumière rouge vif. Le serpent explore ses fesses, semble hésiter, puis enfouit sa tête d’un seul coup dans la raie.

    Un long hurlement de terreur monte de la table.

    Le serpent s’introduit dans le trou de balle, se glisse en ondulant dans les boyaux de Dominique qui se tortille désespérément dans ses liens, criant, pleurant, suppliant.

    Les musiques se taisent.

    Les lumières se figent.

    Mlle.Schmidt pose sa flûte, se lève. Elle marche jusqu’au milieu du plateau. Tournant le dos à la salle, elle lève la tête vers la supposée cime des arbres et tend ses bras.

    SCHMIDT
    Êtes-vous satisfaites, mesdames ?


    Des cris lui répondent dans la jungle : OUI ! ! … OUI ! ! ! … FORMIDABLE … BRAVO, MADEMOISELLE … Ces cris sont entrecoupés de rires en cascade, de coups de sifflets, de glapissements des singes, de bruits de crécelle des perroquets …

    Mlle Schmidt se penche pour saisir le manche du cerceau qui est posé à terre. Elle tente de le soulever, mais n’y parvient pas.


    SCHMIDT
    Je n’y arriverais jamais seule. Qui veut bien venir m’aider ?


    Deux élèves de l’école des Goûts Doux  –  Lætitia de Vuilsens et Amanda, la jeune Espagnole élevée chez les Ursulines de Burgos  –  descendent du plafond en se laissant glisser sur des lianes. Elles portent leurs tenues de cuisinières : blouse blanche à mi-mollets et grand tablier en toile écrue à bretelles, la bavette montant haut sous le menton, pour madame de Vuilsens ; longue blouse bleue aux chevilles et tablier bleu délavé, aux cordons blanchis par les lessives, pour la belle mais un peu trop austère Amanda Consuella Maria Irgun y Brazador.

    Elles s’y mettent à trois pour soulever avec difficulté le lourd cerceau


    VUILSENS
    C’est invraisemblable …

    AMANDA
    Porqué cé si lourd ?

    SCHMIDT
    C’est à cause du verre

    VUILSENS
    Oh ! C’est une loupe..


    AMANDA (se signant)
    Madre de Dios … Pour voir Lucifer de plus près ! ! !



    Unissant leurs efforts, elles parviennent à dresser à la verticale l’énorme loupe.



    SCHMIDT (appelant)
    Madame Lucas.


    Une élève apparaît dans la loupe, nimbée d’un éclairage violet (la projection vidéo donne un effet de fort grossissement)


    LUCAS (esquissant de sa main droite le geste d’administrer une raclée)
    On l’a eu en beauté … Qu’est ce que j’étais contente ! !

    SCHMIDT (appelant)
    Madame Vorhamstruk.

    VORHAMSTRUK (comme la précédente, en vidéo dans la loupe grossissante. Spot indigo)
    Je reverrais toujours sa tête quand nous sommes sorties toutes ensemble des placards.

    SCHMIDT (appelant))
    Madame Beulmans.

    BEULMANS (spot bleu foncé)
    Pris la main dans le sac.


    Rires en cascade des femmes. Glapissements déchaînés des singes. Concert des perroquets.

    VOIX OFF
    Je dirais plutôt la main sur la bite …

    UNE AUTRE VOIX OFF
     … et sa bite dans nos tabliers ! ! !

    BEULEMANS (vexée)
    J’espérais que vous comprendriez l’allusion.

    AMANDA (s’adressant à Beulemans à travers la loupe)
    Quellé allousion ?

    BEULEMANS
    Nos tabliers ne sont-ils pas des SACS dans lesquels les hommes nous ENFERMENT pour que nous soyons leurs servantes soumises ?



    Cris, protestations dans les branches … Huées … HOU  HOU  HOU … Singes et perroquets manifestent bruyamment leur mécontentement.



    SCHMIDT
    Ceci, mesdames, est un autre problème, que nous reprendrons plus tard si vous le souhaitez. Ne mélangeons pas les torchons avec les serviettes.

    VOIX OFF
    Ni avec les tabliers.

    SCHMIDT
    Nous sommes toutes d’accord. J’appelle maintenant le témoignage de madame Cipriano.

    CIPRIANO (spot virant au vert)
    Je l’ai regardé dans les yeux au moment où il éjaculait dans mon tablier. C’était fou … J’ai joui en même temps que lui.



    Déchaînements de cris dans la jungle. À nouveau femmes, bêtes, oiseaux clament haut et fort leurs protestations.


    SCHMIDT (grondant)
    Silence là haut ! !  … Si je me fâche, gare les fesses ! ! !



    Grand silence


    SCHMIDT (appelant)
    Madame Lebon.

    LEBON (spot violet clair tirant déjà sur le rouge)
    Je n’approuvais pas les châtiments corporels. J’y étais même opposée. J’élève mes enfants sans martinet ni fessées. Mais cette fois, devant l’ignominie de la faute,  oui … OUI ! ! … Je prendrai un réel plaisir à fouetter ce petit dégoûtant … À lui donner LE FOUET avec la plus extrême rigueur ! !

    SCHMIDT
    Merci, madame, pour cette réponse aussi judicieuse que pertinente. Puis-je me permettre de vous poser une deuxième question ?

    LEBON
    Bien sûr.



     


    SCHMIDT
    Vous avez des garçons, je crois ?

    LEBON
    Deux garçons et une fille.

    SCHMIDT
    À cette question que je vais vous poser, je vous demande d’y répondre sur le champ … Spontanément … Vous dites ce qui vous vient tout de suite à l’esprit, sans laisser à la réflexion le temps d’altérer votre première pensée.

    LEBON
    Allez-y.

    SCHMIDT
    Si vous vous aperceviez que l’un de vos garçons se masturbe dans vos tabliers, comment réagiriez-vous ?

    LEBON (parlant vite d’une voix haletante, presque hystérique)
    Je le corrigerai à lui peler la peau du cul.

    SCHMIDT
    Autrement dit, vous utiliseriez la fessée comme mode de punition ?

    LEBON (le visage en feu, terriblement surexcitée)
    Ah oui alors ! ! … LA FESSÉE … Quand il quitterait mes genoux, il ne pourrait plus s’asseoir pendant huit jours.

    SCHMIDT (s’inclinant en souriant)
    Merci, madame Lebon. C’est ce que j’espérais vous entendre dire.

    VOIX OFF
    Sur ce sujet …

    SCHMIDT (levant la tête vers les arbres)
    Je reconnais votre voix, madame Cipriano. Avez-vous quelque chose à ajouter à votre déclaration ?

    CIPRIANO
    Oui.

    SCHMIDT
    La parole est à vous, madame … Nous vous écoutons.

    Cipriano apparaît grossie dans la loupe (spot bleu-vert).

    CIPRIANO
    C’est un souvenir qui me revient …

    SCHMIDT
    Les souvenirs personnels nous intéressent toutes.

    CIPRIANO
    Mes parents sont Siciliens. Quand mes frères se faisaient prendre à se masturber, ma mère leur mettait le caleçon de correction.

    SCHMIDT
    En tant qu’Alsacienne calviniste, je sais de quoi vous parlez. Mais ces dames du cours de cuisine aimeraient des précisions.

    CIPRIANO
    Le caleçon de correction est un caleçon d’aspect normal vu de l’extérieur. Seulement l’intérieur est doublé de crin.

    SCHMIDT (riant)
    De crin bien piquant et irritant ! !

    CIPRIANO
    C’est très exactement ça, mademoiselle … Oui, terriblement piquant et irritant … Mes frères étaient d’abord fouettés … Avec une ceinture de cuir dédoublée … Puis ils enfilaient le caleçon de correction et devaient le porter une semaine entière.

    SCHMIDT
    Dans ma famille c’était quinze jours.
     

    Les lumières changent brusquement. Nous avons tout à coup un effet de tempête … Comme si des rafales balayaient l’ancien décor pour le remplacer par (projection vidéo, plan s’appliquant cette fois à tout le plateau et recouvrant l’ancienne jungle) :

    Plan d’ensemble : les projections suggèrent d’énormes monuments envahis par la jungle … Les ruines d’une cité inca … maya … des tours, des pyramides, des palais …

    Toutes les femmes sont maintenant sur le plateau. Maniant difficilement la loupe, la soutenant par ses côtés, Mlle.Schmidt, Mme. de Vuilsens et Amanda la posent délicatement par terre.

    Toutes les huit élèves ensemble entourent la table où est attaché Dominique, la soulèvent par ses pieds (deux femmes pour chaque pied), la lèvent au dessus de leur tête, la portent à bout de bras et se mettent à marcher lentement, à petit pas, chantant une marche funèbre.

    Conduite par Mlle.Schmidt qui marche en tête, la procession, partie côté cour, traverse le plateau en chantant et sort côté jardin.

    Lucas, Cipriano, Volhamstruk et Beulmans reviennent en courant. Elles prennent la loupe et la redressent en position.

    Dans la loupe, nous voyons Mlle.Schmidt grossie. L’air sévère, sanglée dans son tailleur sombre, elle est assise à un bureau, un maillet à la main.

    SCHMIDT (aboyant)
    Cent coups de fouet ! ! !


    Le maillet s’abat sur le bureau.


    Concert des singes et des perroquets.
     
    Dans la loupe, nous voyons Dominique couché sur une planche, vêtu d’un habit rayé de bagnard (vidéo).

    La porte du cachot s’ouvre, laissant entrer Mlle.Schmidt et Lætitia de Vuilsens.


    Dominique se soulève sur un coude, l’air à la fois hagard et affolé.


    VUILSENS
    C’est l’heure.

    DOMINIQUE
    NON ! ! !

    SCHMIDT
    Si.


    Elles l’entraînent, se débattant, pleurant, implorant.

    Les sons, les lumières s’unissent pour produire un effet lugubre.

    Trois femmes  –  Mlle.Schmidt ; Lætitia de Vuilsens ; Amanda y Brazador  –  traînent Dominique le long d’un couloir voûté boursouflé de salpêtre, suintant l’humidité.


    DOMINIQUE (en lumière vermillon)
    NON ! ! … PITIÉ …


    Nous comprenons qu’on le traîne, gémissant et pleurant, vers la salle des châtiments.

    Dans la loupe tenue dressée par Lucas, Cipriano (côté jardin), Volhamstruk, Beulmans (côté cour), nous voyons apparaître, en plan américain rapproché, une policière en uniforme. La trentaine. Blonde. Type pays de l’Est. Jolie mais rébarbative, le visage dur, fermé.

    POLICIÈRE
    Arrêtez.

    SCHMIDT (sur le plateau, s’adressant à la loupe)
    On vient de nous dire que la salle des punitions était libre.

    POLICIÈRE
    Elle va être à vous dans quelques instants.

    SCHMIDT
    Vous punissez quelqu’un ?

    POLICIÈRE
    On castre un délinquant sexuel.


    La vidéo se déroule ici très rapidement : une série de clips enchaînés, ne restant qu’une seconde à une seconde et demie sur la loupe.

    Une infirmière ceinte d’un grand tablier en latex blanc.

    Un couteau de boucher dont plusieurs spots ponctuels font étinceler la lame d’acier poli.

    Un homme nu, terrorisé (plan rapproché).

    Le couteau s’abat.

    Un hurlement retentit.

    La loupe se remplit de sang.


    Fin des clips. La policière et l’infirmière soutiennent par les aisselles le criminel qui vient d’être châtré. Elle l’entraînent, menotté dans le dos, nu et sanglotant, le long du couloir souterrain, voûté et suintant d’humidité. Le castré laisse derrière lui des traces de pas sanglantes.


    POLICIÈRE (à Mlle Schmidt)
    Nous avons terminé. La salle est à vous.


    Toutes les lumières s’éteignent.

    Un petit spot blanc (disque lumineux  de 50cm de diamètre) éclaire le côté cour. Apparaît un petit singe noir qui traverse le plateau en courant. Le spot le suit dans sa course jusqu’à ce que le singe disparaisse, côté jardin.

    Lorsque les lumières se rallument, le plateau représente un caveau sinistre (le fameux dungeon des férus de bdsm). Des anneaux sont scellés dans les murs. Des chaînes pendent du plafond. Partout des fouets, des tenailles, des crochets, des instruments de supplice …

    La loupe, devenue inutile, n’est plus là.

    Mlle Schmidt apparaît côté jardin, toujours sanglée dans le tailleur de coupe masculine qu’elle a porté pendant toute la pièce. Derrière elle arrivent les huit élèves des Goüts Doux, en tenue de cuisinières, portant la table de correction (comme tout à l’heure, deux femmes à chaque pied, hissant la table à bout de bras au dessus de leurs têtes). Dominique est dans la position où nous l’avons vu au lever du rideau : nu, à plat ventre sur la table chirurgicale, solidement maintenu par quatre larges sangles de cuir (épaules, taille, cuisses, mollets). Ses poignets et ses chevilles sont immobilisés dans des bracelets rivés aux pieds de la table.

    La procession va, d’un pas solennel, déposer la table au milieu du caveau.

    Mlle.Schmidt prend un chat à neuf queues suspendu au mur. Elle fait glisser les lanières entre ses doigts, les fait siffler dans l’air. Elle met le fouet sous le nez du condamné.


    SCHMIDT
    Cent coups, Dominique.


    Cris, sanglots de l’apprenti qui tente de se débattre dans ses liens.


    Mlle.Schmidt prend un second martinet suspendu au mur. Elle exécute les mêmes gestes que précédemment. Se tournant vers les élèves cuisinières, elle leur présente les martinets.


    SCHMIDT
    Vous allez procéder deux par deux. L’une à gauche, l’autre à droite. Dix coups chacune. Mesdames de Vuilsens et Lucas vont commencer.


    Les deux femmes désignées saisissent les fouets et prennent position, Mme. de Vuilsens à gauche de Dominique, Mme. Lucas à sa droite.


    SCHMIDT
    Mademoiselle Brazador, vous compterez les coups.


    La jeune espagnole sort un chapelet de la poche ventrale de son tablier bleu.


    AMANDA Y BRAZADOR
    Yé vé compté sour lé grains dé mon chapelé.

    Mme MOUSSOIS (bas, à l’oreille de Mme. Cipriano)
    Quand celle là se mariera, elle comptera sur son chapelet les coups de pine que lui donnera son bonhomme.


    Mme Cipriano se plie en deux de rire, mais s’arrête net sous le regard sévère de Mlle. Schmidt.


    SCHMIDT
    À vous de commencer, madame de Vuilsens.


    Le martinet s’abat avec un bruit mat en travers des fesses nues du puni, aussitôt suivi d’un non moins vigoureux doublé quand tombent les lanières dextrement maniées par la mère Lucas.


    AMANDA Y BRAZADOR (déplaçant 2 grains sur son chapelet)
    Dos ! !


    Les lanières voltigent de par et d’autre … TROIS (Vuilsens) suivi aussitôt de QUATRE (Lucas). CINQ-SIX … SEPT-HUIT … NEUF-DIX …

    Le fouetté se tord en hurlant.

     …. DIX-SEPT-DIX-HUIT …. DIX-NEUF-VINGT.

    Le prochain couple de fouetteuses est constitué par mesdames Beulmans et Lebon. Dix coups chacune. Elles passent les martinets aux suivantes. Quand les huit femmes ont terminé, Dominique a reçu 80 coups sur les 100 de la sentence.

    Mlle Schmidt garde pour elle les 20 derniers coups : n’a-t-elle pas à subir toute l’année son abominable apprenti ?

    Le cul de Dominique ressemble à une bassine de confiture de groseille.

    Mesdames Moussois et Cipriano se baissent, chacune à un pied de la table, et s’apprêtent à libérer les poignets de Dominique lorsque Mlle. Schmidt les arrête.


    SCHMIDT
    Nous n’avons pas fini.

    CIPRIANO (toujours accroupie, regard interloqué)
    Ah ?


    Les femmes regardent la gérante d’un air surpris.


    SCHMIDT
    Il a toujours son serpent dans le cul.

    TOUTES LES FEMMES EN CHŒUR
    C’est vrai ! ! !


    Conduites par Schmidt, elle sortent en courant côté cour.

    Dans le même ordre, Schmidt en tête, elles reviennent en courant côté jardin. Chacune a un instrument de musique entre ses mains. Schmidt et Vuilsens ont une gasba (flûte oblique) ; Cipriano et la jeune espagnole une ajewwaq (flûte à bec) ; les autres élèves ont des riqq (tambourins) et des bendir (tambours en peau de chèvre).

    Alignées côte à côte sur le plateau, face à la salle, elles forment un orchestre en blouses et tabliers qui joue une musique berbère du Haut Atlas.

    Les lumières baissent.

    Un spot éclaire le derrière cramoisi de Dominique. La tête du serpent apparaît. Il sort en ondulant au rythme de la mélopée, se laisse glisser au bas de la table, rampe rapidement sur le soi et disparaît côté cour.

    L’orchestre féminin joue plus vite, plus fort.



    LE RIDEAU TOMBE











     

     

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